samedi 4 août 2007

AFFAIRE TAYLOR : OPERATIONS DE CANTONNEMENT DU PROCES

Je reprend un article du résistant qui est ménacerde mort: Ibrahima Maiga



Alors qu’après l’ouverture du procès de Charles Taylor, ses juges s’attèlent logiquement à asseoir leur conviction sur toutes les responsabilités liées à l’affaire, un autre travail est engagé par le biais de certains médias et officines pour obtenir de l’opinion, un pré jugement qui influence le procès dans le sens d’une sélection des incriminations. Heureusement, il y a eu des résistances anticipatrices et elles sont toujours en œuvre.


OPERATIONS DE CANTONNEMENT DU PROCES

Depuis ce 4 juin 2007 en effet, on sent bien comme une conspiration, préparée de longue date et à renfort de gros moyens, pour enclore les débats autour de la seule mise en cause de Charles Taylor comme unique auteur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis en Sierra Leone.. Tout est bon pour baliser le procès autour de considérations non substantielles pour la manifestation de la vérité mais qui peuvent nourrir la polémique dans une opinion travaillée.

Pourquoi ce procès à La Haye qui ressemble à un procès de vainqueurs, de colons, contre les éternels opprimés ? Comme si la distribution de la justice était plus opérationnelle, plus saine et plus sécurisée en Afrique et que la délocalisation était sans précédent, en droit pénal international !

Pourquoi ce procès contre un Africain alors que ne sont pas inquiétés des puissants de ce monde pour les ravages qu’ils causent ici et là, en Palestine, en Tchétchénie, en Afghanistan, en Irak, au Tibet, à Guantanamo, au Liban … ? Comme s’il fallait attendre que tous les infracteurs soient mis sous main de justice avant d’empêcher ceux qu’on a sous la main, de nuire !

Insidieusement, Charles Taylor en vient à être présenté comme un pauvre hère, l’agneau sacrificiel qui lutte dans des conditions peu amènes (surveillé de jour comme de nuit, sustenté par une alimentation fade, privé de ses droits d’accusé..) contre des juges décidés à lui faire rendre gorge ; un souffre-douleur qui garde cependant toute son intelligence des rues et qui parvient même à déstabiliser le Tribunal en adoptant des postures qui lui font gagner des points. Relevons seulement que sa sortie jugée si brillante sur ses droits bafoués et spécialement au sujet de ses témoins qu’on empêcherait de voyager n’avait pas de raison d’être ainsi montée en neige. En attestent ces termes pertinents de la Résolution 1521 du Conseil de Sécurité, en son alinéa 9 : « Décide que les mesures imposées au paragraphe 4 a) de la résolution 1521 (2003) du 22 décembre 2003 ne s’appliqueront pas ..(..) à l’exécution du jugement et que l’interdiction de voyager sera levée pour tous témoins dont la présence sera requise au procès ». Alors, trêve de dilatoire !

Par ce petit jeu cependant, on voudrait transformer ce procès en un combat singulier entre Charles Taylor et l’antipathique procureur du tribunal, Stephen Rapp, à la solde des ennemis du continent ; bref, métamorphoser le dictateur pour en faire un homme au fond pas plus mauvais qu’un autre, que son peuple à l’occasion plébisciterait contre Mme Sirleaf. « L’Express » du 4 juin 2007 pour sa part, va jusqu’à dire qu’il sera difficile d’établir sa responsabilité dans les faits qui lui sont reprochés parce qu’il aurait été loin du théâtre des opérations. C’est la totale. Il faut croire que maintenant, dans un procès pénal, les collaborateurs, les instigateurs, les parrains, les commanditaires et autres auteurs intellectuels d’un crime sont obligés d’en être les exécutants directs pour être passibles de poursuites !



LES COMPLICES PRESUMES DE CHARLES TAYLOR

Une telle justice, qui réduirait aussi arbitrairement le champ de l’imputabilité des crimes ne serait ni conforme aux principes qui fondent le droit pénal, ni conforme au bon sens commun. Si le monstre Frankenstein, ne l’oublions pas, a pu commettre des horreurs, c’est parce qu’il a eu un fameux docteur du même nom qui l’a créé. Si Charles Taylor, le « Serial killer » de l’Afrique de l’Ouest, a pu écumer la sous région, c’est qu’il a eu plusieurs « Docteurs » plus ou moins zélés, dont la plupart sont encore en vie.

Ainsi, c’est dans une mesure symbolique le cas des Américains parce qu’ils auraient aidé Charles Taylor à se faire la belle d’une prison américaine pour aller en finir avec le sanguinaire Samuel Doe.

On pointe du doigt également le Burkina Faso où, après une escale carcérale au Ghana, il a atterri pour s’y construire des fidélités durables. Le quotidien français Libération du 5 juin 2007, sous le titre « Les ’diamants du sang’ de Charles Taylor les rappelle bien à propos : « La trajectoire de Charles Taylor croise alors celle de plusieurs parrains bien disposés à son égard : l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny qui a des comptes personnels à régler avec le pouvoir alors en place à Monrovia, le dirigeant burkinabé Blaise Compaoré, jamais en retard d’une intrigue pour placer ses pions dans la sous-région et, surtout, le colonel libyen Muammar Kadhafi, prêt à toutes les aventures pourvu qu’elles se parent d’atours anticolonialistes ».

Et justement, peut-on occulter le rôle de la Libye où Charles Taylor faisait des séjours fréquents notamment de formation, en compagnie des Foday Sankoh et autres mercenaires de grand chemin que le Guide a toujours aimé lâcher dans bien de pays du continent pour des guerres de prédation et d’hégémonie ?

Il est également impossible de mettre sous le boisseau, sinon les complicités avérées de la France, son silence qui a permis que se déroulent avec Charles Taylor des trafics d’armes, de bois, de diamant, impliquant des multinationales et autres intermédiaires. C’est bien la question que se pose Patrice Nganang, romancier camerounais : « Taylor sera jugé, certes. Mais qu’en sera-t-il des marchands d’armes, des multinationales ayant profité des diamants, du bois, des minerais de la guerre - parmi lesquelles on retrouve Usinor-Sacilor et Bolloré, selon plusieurs sources ? ». (in http://www.agoravox.fr/article.php3 ?id_article=25360).
Mais les omissions les plus coupables dans ce dossier sierra leonais pour lequel comparaît Charles Taylor, concernent évidemment la Libye, et surtout le Burkina Faso qui croule sous les accusations comme celles venant de Thomas Hugeux : « …Fort de 15 000 à 20 000 hommes aguerris, le RUF tient encore la brousse, ses fiefs du Nord et du Sud-Est, et les mines de diamants de l’Est. L’exportation illégale des gemmes lui assure d’ailleurs, grâce à la bienveillance du Liberia voisin, une rente de 200 millions de dollars par an. De quoi puiser largement dans l’arsenal des trafiquants d’armes ukrainiens, avec la complicité, cette fois, du Burkina Faso » ( in L’Express du 25/05/2000).

De son côté, feu François-Xavier Vershave, dans son célèbre livre "Noir silence - Qui arrêtera la Françafrique ?" paru en 2001, a écrit ceci : « Le Burkina de Compaoré est le parrain central de l’entreprise Taylor-Sankoh…. ’ Des officiers de la Force d’interposition ouest-africaine (Ecomog) et particulièrement le général nigérian Timothy Shelpidy, ont évoqué le soutien de l’État burkinabè aux rebelles sierra-léonais. Les mêmes accusations avaient été portées par le journaliste américain James Rupert le 10 janvier 1999 dans le quotidien américain Washington Post. Selon des sources concordantes, les Nations Unies disposeraient désormais de preuves sur le soutien du Burkina aux rebelles de Freetown’. Un rapport américain précise, en juillet 1999 :’ Récemment, l’Ukraine a envoyé des armes au Burkina Faso, indiquant sur les certificats de destination que ce pays était l’acheteur. Ouagadougou a ensuite cédé les armes aux combattants du RUF en Sierra Leone’ ».
Il n’est jusqu’au Parlement de l’Union Européenne qui n’ait incidemment évoqué la question en dénonçant l’impunité liée à la criminalité de groupe : « .. plusieurs anciens dictateurs africains, en particulier Charles Taylor (Sierra Leone), Mengistu Haïlé Mariam (Ethiopie) et Hissène Habré (Tchad) et leurs complices coulent aujourd’hui des jours paisibles en toute impunité » (http://www.avomm.com/index.php).

Mais pour mettre en lumière toutes les facettes de ce dossier, il faut ajouter les tolérances multiples à l’endroit de Charles Taylor de la part de la CEDEAO et même de la part des Nations Unies. On comprendra alors l’ampleur des difficultés à appeler en cause tous les impliqués dans cette vaste association criminelle. C’est qu’au niveau le plus haut de la gouvernance mondiale, où se concentrent des pouvoirs de toutes sortes, le phénomène maffieux a pris corps, favorisant l’impunité des plus grands. Ce serait pourtant un déni de justice contre l’humanité que de laisser sur la touche, les acteurs-clé.



EXIGENCES D’UN JUGEMENT GLOBAL, INCLUSIF ET JUSTE

Plusieurs experts de la très sérieuse « Organisation de coopération et de développement économique » (OCDE), ont en tout cas, explique Jeune Afrique, condamné ce tropisme judiciaire qu’est « l’acharnement actuel contre le seul président libérien Charles Taylor.. ». L’hebdomadaire poursuit : « Comme la réunion se déroulait à huis clos, ils n’ont pas hésité à dénoncer la responsabilité des présidents libyen et burkinabé dans l’acheminement d’armes, notamment ukrainiennes, dans la sous région ». (in Jeune Afrique du 18 au 24 mai 2003).

La journaliste Stéphanie Maupas, avec une pointe d’amertume, est allée dans le même sens à l’occasion de l’ouverture de la première audience du tribunal spécial sur la Sierra Leone autour du procès à Freetown de Sam Hinga Norman, chef des milices progouvernementales : « Ni mercenaires, ni représentants de la De Beers, principale compagnie d’exploitation du diamant, ni les présidents libyen ou burkinabé, connus pour leur appui aux rebelles du RUF, n’apparaîtront dans le box des accusés » (in Le Monde du 4 juin 2004).

Pour David Crane, ancien procureur du Tribunal spécial sur la Sierra Leone, il n’y a pas non plus de doute : « .. le tribunal est chargé de juger les principaux responsables des crimes de guerre commis durant la guerre civile sierra-léonaise. Cela signifie « poursuivre ceux qui ont déclenché cette guerre, qui l’ont facilitée, qui l’ont soutenue, qui l’ont poursuivie et qui ont créé les conditions permettant à d’autres individus de tuer, de violer, de mutiler, de réduire en esclavage, de piller, etc. » (Washington File le 11 avril 2006).
C’est le même D. Crane qui avait révélé cet extraordinaire coup d’audace de l’ancien dictateur -vraiment irrécupérable- qui rompant son exil doré au Nigeria, se serait rendu à bord d’un avion burkinabé à Ouagadougou pour des conciliabules au sujet des élections alors en préparation au Libéria et autour d’actions de déstabilisation de la Guinée.
Mais D . Crane est loin d’être le seul à proscrire un procès effeuillé de ses principaux acteurs. C’est aussi le cas du journaliste Narcisse Kimfado, qui révèle que « Sur les 32 000 pages d’accusation dans le procès Taylor, 7 000 le (NDLR : Blaise Compaoré) concernent directement » (Afrique Education N° 223 du 1er au 15 mars 2007).

Le célèbre avocat et professeur de relations internationales à l’Université de Reims, Albert Bourgi, sera plus catégorique lors du « Débat africain » du 09 avril 2006 sur RFI : « Taylor n’a pas agi de manière isolée. Il a eu des alliés dans la région. D’autres chefs d’Etat ont participé au festin meurtrier au Libéria comme en Sierra Leone … La Libye est impliquée. Le Burkina Faso, c’est très clair, était impliqué. Charles Taylor y disposait d’une villa pour ses différents séjours au Burkina Faso ».

Pour Patrice Nganang, suscité, les choses sont claires : « Que Charles Taylor, l’ancien satrape de Monrovia (Liberia), soit jugé par un tribunal international, est une bonne chose. Mais la communauté internationale devrait veiller à ne pas faire respecter la règle du droit en Afrique à la tête du client ». (http://www.agoravox.fr/article.php3 ?id_article=25360).
Cette exigence est répercutée dans un documentaire d’Alexandre Héraud et Jean-Philippe Navarre consacré à Charles Taylor et à son jugement : « Un procès qui risque bien d’ouvrir la boîte de Pandore, tant les complicités internationales étatiques (Libye, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, France…) et industrielles dont a bénéficié l’ancien président pour faire fonctionner son économie de guerre (bois et diamants contre armes) sont aujourd’hui connues… » (Radio France le 02/04/2007 http://www.radiofrance.fr/chaines/France culture/emissions/sur_docks/fiche.php ?diffusion_id=51019) .

Même au Burkina Faso, il ne faut pas croire, ce souci est partagé. Des voix se sont toujours élevées dans le même sens, venant de l’opposition, de la société civile...

Le Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques dénonçait déjà, dans son Message du 9 avril 2000, les ingérences burkinabé : « Nous ne pouvons accepter les ventes d’armes par tonnages incalculés à des pays africains, le trafic de diamants et autres pierres précieuses, des produits pétroliers à l’Angola de Savimbi, à la Sierra Leone de Fodé Sankho, au Libéria de Charles Somé Taylor car tel est son nom au Burkina Faso ».

Idem pour les médias. « Charles Taylor selon les analystes les plus avertis de la scène politique nationale ne peut pas répondre correctement devant le tribunal spécial pour la Sierra Leone sans citer le nom de Compaoré ». (Bendre du 7 juillet 2003).

Le 14 avril 2004, la CDS, la CPS, le FFS, le FPC, le GDP, le MDR, l’OBU, le PAI, le PDP/PS, le PDS, le PFID, le RDEB, l’UDPI, l’UNDD et l’UNIR/MS, partis d’opposition, rentrent dans la danse : « Les partis politiques, signataires du Mémorandum, sont d’autant plus attachés à la mise en place d’un tel instrument d’investigation que les accusations récurrentes qui pèsent sur le Burkina Faso relèvent de la compétence des juridictions internationales (commerce illégal d’armes, de diamants, ingérences au Libéria, en Sierra Leone, en Angola, en Côte d’Ivoire) ».

Les mouvements de droits de l’homme ne sont pas en reste : « Nous avons dénoncé la présence du Burkina au Libéria, la présence burkinabé en Sierra Leone. Si vous avez suivi les différends entre le Burkina et le Togo, entre l’Angola et le Burkina et aujourd’hui entre la Mauritanie et le Burkina nous disons qu’il est temps que le Burkina arrête de mener ce type de politique qui le met en danger et toute la sous-région avec » (Halidou Ouédraogo, Président du Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples, interviewé par Le Patriote du 23 Septembre 2004).

On le voit, l’intérêt de ce procès est loin de se trouver comme à la fin d’un western, dans un face à face entre deux individus aux personnalités trempées, le « bravo » Charles Taylor et le mauvais Stephen Rapp. Ca, c’est un tableau qui peut inspirer bien de thrillers mais qui reste plutôt caricatural au regard de la gravité de la situation.
L’ancien dictateur n’est pas l’enjeu ultime et unique du procès. Son avocat Karim Khan, en lançant à la volée à l’ouverture du procès, que son client n’en était qu’un « élément mineur », a bel et bien recadré les choses. Du coup, ce procès, malgré les pare-feux, peine encore plus à passer pour celui du seul Charles Taylor plutôt que celui de tous ceux qui, ensemble et de concert avec lui, sont impliqués à des degrés divers dans les faits de la procédure.

Qu’importe alors que les charges retenues concernent les crimes commis en Sierra Leone et non au Libéria ! Qu’importe que le procès se tienne à La Haye et non en Afrique ! Qu’importe qu’on n’ait pas d’abord jugé Poutine, Bush, Olmert, Blair, Chirac…et tutti quanti, avant d’en venir à Charles Taylor ! L’essentiel, c’est qu’il y ait un début de réaction organisée au plan universel contre la délinquance des chefs d’Etat et autres personnalités mises directement en cause dans ce procès. Ca sera déjà ça de gagné ; le reste viendra de surcroît, comme la conséquence d’une jurisprudence victorieuse et irréversible.



LES RESISTANCES A LA JUSTICE

Pour autant, des inquiétudes, il y en a. Les USA (même concernés a minima) restent les USA, la première puissance du monde, rejetant de surcroît la compétence de la juridiction pénale internationale pour ce qui la concerne ; mais à leur décharge, ils ont plutôt fait amende honorable en se retournant contre Charles Taylor. La France reste la France (4ème puissance du monde ayant des protections diplomatiques très puissantes) qui n’a pas jusqu’à preuve du contraire, renié le dictateur. La Libye, quant à elle, engluée jusqu’au cou dans l’affaire, reste égale à elle-même, et continue même à faire danser au monde, la danse du ventre à cause de son pétrole, de ses pétrodollars comme l’a symbolisé Abderahmane Ahmat sur Internet : « Aujourd’hui, la mort de 440 personnes a été classée grâce à de simples virements bancaires. Le Colonel Khadafi a déboursé 10 millions de dollars US pour chaque victime de la Pan-Am (des Américains !) et 1 million de dollars US pour chaque victime de l’UTA (Africains et quelques Européens !). L’argent lave le sang ! Kadhafi s’est lavé les mains ensanglantées avec l’argent du peuple libyen. Ce qui n’empêche pas aujourd’hui, Tony Blair, Condoleeza Rice et beaucoup d’autres petits de ces grands pays, donneurs de leçons de démocratie et surtout de justice, de défiler chez le « Guide » Libyen et faire le clown pour quelques marchés juteux ». En Côte d’Ivoire, Félix Houphouët Boigny n’est plus là mais nombre de ceux qui l’ont aidé et qui ont poursuivi son œuvre jusqu’à finir par mettre à feu et à sang sa Côte d’Ivoire bien aimée, après sa mort, sont toujours là pour veiller au grain.

Quant aux autorités burkinabé, elles se disent qu’elles ne peuvent -sauf impossible- être épinglées sans que d’autres ne le soient avec elles ; et pour mieux bétonner leur défense, elles n’arrêtent pas de clamer qu’en tout état de cause, lors même que les faits les contredisent, elles ont rompu depuis belle lurette toute relation avec Charles Taylor, comme si cela valait exonération de poursuites.

Au fond, chacun se tient par la barbichette, assuré de l’impunité.



DES RAISONS D’ ESPERER

Mais de la force d’inertie que peut exercer tout ce beau monde sur la procédure, le célèbre prisonnier de La Haye en a conscience comme il perçoit qu’elle est à double tranchant. En effet, elle constitue une protection pour lui, et pour peu qu’il accepte de jouer le jeu et de respecter l’ « omerta », il pourrait connaître une autre forme d’asile doré à Londres en attendant de voir venir. Tant qu’il y a la vie, y a l’espoir, n’est-ce pas ? Mais Charles Taylor sait aussi, pour l’avoir expérimenté, que c’est toujours dangereux de laisser circuler des témoins gênants, et plus encore des acteurs puissants d’un crime organisé, gagnés par la psychose d’être « balancés » ; ce que confirme à sa façon Ben Ismaël, dans un écrit publié dans « Chronique diplomatique » : « .. si Charles Taylor parle..(..) .. , les noms de Blaise Compaoré, Muammar Kadhafi, Félix Houphouët-Boigny seront cités » (www.lintelligentdabidjan.org © Copyright Le Devoir, 25/04/2006).

Alors, le petit « cinéma » de l’accusé au sujet de ses droits bafoués, mis en relation avec la sortie de son avocat, pourrait cacher bien des calculs ! L’ancien dictateur, habile à jouer à la roulette russe avec les autres, pourrait se dire que cette fois-ci, la balle est bien logée dans le barillet et pointée sur son tympan, et qu’il ne faut pas faire de faux gestes pour connaître un sort semblable à celui de Milosevic. L’attaque ne serait-elle pas alors la meilleure défense pour lui ? C’est entre autres la conviction de K. Sylvain Sasse : « De sa prison, Charles Taylor ne cesse de jurer que, dès sa comparution, il ne manquera pas de citer son compagnon de toujours, Blaise Compaoré ». (in Afrique Education N° 223 du 1er au 15 mai 2007).

Rien n’est donc exclu.

Par ailleurs, les temps changent avec les départs de Kofi Annan, de Jacques Chirac, de Olesogun Obasanjo, et pourraient changer encore plus avec les promesses de Nicolas Sarkozy de décrochage avec les dictateurs et les pratiques de la Françafrique, quoi qu’il faille les prendre avec prudence.

Finalement, on le sait, l’issue de l’épreuve dépendra du courage des juges, de la mobilisation des intellectuels, des contre-pouvoirs internationaux non récupérés comme de la ténacité de ces partenaires de la communauté internationale qui refusent de se prêter aux accommodements qui portent atteinte à l’équilibre de la justice. Alors, on le voit bien, ce déni de justice qui veut forcer les porte du Tribunal à La Haye devient le défi de tous, de Eva Joly, de Carla Ponte, du Procureur Rapp…, et par-dessus tout celui de la justice pénale internationale qui, par trop suspectée d’être une justice retenue, instrumentalisée par les puissants de ce monde, a grand besoin de convaincre. En conduisant ce procès Charles Taylor et autres de façon véritablement inclusive, dans la stricte appréciation du degré des implications avérées, elle résorberait grandement son déficit de crédit et aiderait au relèvement de l’éthique sociale dans ce monde menacé par l’action corrosive des forces maffieuses.

Et ce ne seront pas les centaines de milliers de victimes (ou leurs familles), en attente de vérité et de justice, qui s’en plaindront ni la collectivité universelle dont l’ordre violé commande aussi réparation.



Ibrahima Maïga